Le 29 février 1944 Ardaillers devient un village martyr. Les soldats SS de la IXème Panzer Division investissent le village à la recherche des maquisards. Ils pillent, brutalisent, incendient, tuent et prennent 6 otages. Nous verrons ici comment se sont préparés et déroulés les évènements et exactions commises par les SS à Ardaillers, en envisageant les suites dramatiques dans une large partie des Cévennes.

 

1- Les opérations des 28 et 29 février 1944 : un exemple de collaboration franco-allemande contre la Résistance :

L'opération allemande des 28 et 29 février 1944 touche le GARD et la région de VALLERAUGUE .

Le 28 février, la seconde session de l'Ecole des Cadres se termine a la SOUREILHADE . Les jeunes des environs regagnent leur foyers , une dizaine d'entre eux restent a ARDAILLERS.

Le 29 février a 9 heures, les SS de la 9eme Division blindée SS Hohenstauffen arrivent a SAINT HIPPOLYTE du FORT et investissent VALLERAUGUE. Ils y procèdent a plusieurs contrôles d'identité, inspectent plusieurs demeures a la recherche d'armes et de terroristes . Ainsi, les habitations de Messieurs JOUSSELME, CLAUZEL, ROUX, ATGER et MAURIN sont fouillées. Ce dernier a juste le temps de se réveiller et de cacher ses effets militaires de maquisard à la SOUREILHADE lorsque les Allemands entrent chez lui et l'interroge en le visant avec leurs armes. Après n'avoir rien trouvé, ils quittent l'appartement. Pendant ce temps, les allemands font sauter a la grenade une pièce située au-dessus de la mairie ou ils avaient trouve des fusils de chasse. Peu avant 9 heures, Armandine TEULON et Charles ATGER ont été alertés depuis GANGES que les Allemands montaient a VALLERAUGUE.

Ils se rendent a la Poste, chez Madame SIMONIN qui envoie a OLIVES un message d'alerte exceptionnel. Ce 29 février, le péril est imminent. Vers 1O heures, un side-car allemand s'immobilise au Mas de l'Eglise a ARDAILLERS, les soldats observent le second Mas a la jumelle, puis repartent. Les maquisards et le pasteur qui avaient gagné une petite bergerie sur la crète dominant ARDAILLERS, redescendent pour la plupart. Ils pensent que les Allemands ont fait une opération d'observation ou de police routière qui n'a rien donné. Ce n'est pas le cas, vers 1o heures les Allemands quittent VALLERAUGUE et partent en direction d'ARDAILLERS.

 

2- L'attaque du maquis à ARDAILLERS :

Vers 10 heures 1/2, le village est cerné. Au Sud, depuis le Mas VALAT, une cinquantaine de soldats montent par le chemin menant a NOTRE DAME DE LA ROUVIERE. A l'Ouest, les Allemands arrivent au Mas de l'Eglise. OLIVES qui s'apprêtait a partir en mobylette est averti juste a temps par Madame FAVENTINES. Les jeunes et les deux radios, LEYSERT et HERAUD gagnent la crête. OLIVES, quant a lui, part en direction du CROS. Le combat n'a pas lieu, inégal et insensé. Les maquisards sont une dizaine avec pour tout armement un ou deux pistolets et autant de fusils MAUSERS. Face a eux, 47 véhicules transportant plus de 300 soldats (SS et Feldgendarmes) . Les Allemands tirent sur le SERRE ou les maquisards ont trouve refuge. Les jeunes mettent à profit les gestes que MAURICE leur a appris en pareil cas et foncent vers la crête au Nord-Ouest afin de passer dans la vallée du CROS.

Pendant ce temps, a ARDAILLERS, les soldats allemands incendient au Mas GIBERT deux maisons appartenant a Monsieur Jean HILAIRE. Marius JOUSSELIME, maçon de VALLERAUGUE, qui travaille alors chez les TEISSONIERE, est interrogeé. Ne répondant que par la négative, il est défiguré a coups de crosse de revolver, peut-être par le lieutenant GULTMANN commandant la Division de Feldgendarmes attachée a la 9eme Division blindée SS Hohenstauffen. Au même moment Maurice TEISSONIERE, un adolescent de moins de 14 ans est passé a tabac, le révolver pointe en direction de sa tête, mais lui non plus ne parle pas.

Les Allemands saccagent et pillent le village, incendient plusieurs habitations dont la SOUREILHADE. Ils se rendent au Presbytère, interrogent Madame OLIVES. Ils tirent au mortier sur la maison NADAL, le fils de ceux-ci, Emile, se précipite pour éteindre l'incendie et est abattu par les soldats. Les maquisards ont pu fuir sains et saufs et se sont réfugiés au TISON-ROUGE,

a CAMP BERNAT, dont les Allemands ne devaient pas connaitre !'existence puisqu'ils ne s'y rendent pas. La population d'ARDAILLERS paye quant a elle, un très lourd tribu. Appliquant comme la veille dans la région cigaloise le principe de responsabilité collective, les Allemands qui ne trouvent pas le maquis prennent 6 otages. II s'agit de :

Emile ECKHARDT, Hénoc NADAL, Louis CARLE, Désir JEANJEAN, Fernand NADAL, Joël NADAL.

    Les 6 otages sont emmenés par les Allemands à 14 heures quant ceux-ci quittent le village ou certaines habitations sont encore la proie des flammes. Ils sont conduits a la caserne du quartier Vallongue a NIMES puis interrogés au siège de la GESTAPO et ramenés ensuite a la caserne jusqu'au 2 mars a 15 heures. Ce même jour, 4 d'entre eux sont pendus a 18 heures à

    NIMES en compagnie de 11 autres otages pris lors des opérations du 28 et 29 février dans la région cigaloise. Joël NADAL et son frère Fernand sont, quant a eux, libérés vers 18h.

     

    Suite a l'opération contre le maquis d'ARDAILLERS, des questions peuvent se poser. Tout d'abord, comment se fait il que la Résistance cévenole n'est pas pu transmettre l'information des exactions de la région cigaloise puis de l'attaque du maquis des Corsaires à ARPHY?

    Le cloisonnement qui était une priorité des maquis a également joué contre leur sécurité alors que depuis le milieu du mois de février 1944, RASCALON ( le chef du maquis de LASALLE) savait qu'une opération allemande d'envergure allait avoir lieu.

    Les liaisons entre les maquis cévenols ont - elles été défaillantes au moment de l'opération des 28 et 29 février 1944? Probablement. Le maquis d'ARDAILLERS a t il été infiltré par un informateur des troupes d'occupation. Possible.

    Jacques POUJOL nous confie "II semble prouvé que les Allemands savaient que VEBRON était notre lieu de repli. Le 29 février, ils ont occupe le village au petit matin, ont installé une mitrailleuse au château ROUX en haut du village. Un des leur postes a été établi au bas du village mais l'informateur ignorait la concentration de maquisards au TISON - ROUGE. Apparemment, les Allemands nous attendaient aussi au col du Pas où nous avons vu des traces de chenilles lorsque notre petit groupe d'avant garde a fait mouvement vers AIRE DE COTE une fois la nuit tombée".

    Les six hommes qui partent a VEBRON dans la nuit du 29 février au 1er mars remarquent aussi des traces de chenilles dans la descente du Col du Marquaires et tombent nez à nez avec une patrouille motorisée formée d'un Side-car et d'une auto-mitrailleuse (incident sans gravite). Les Allemands semblaient donc bien renseignés sur le lieu de repli du maquis d'ARDAILLES et ils avaient également investi très largement les Cévennes du Nord au Sud, depuis le col de Jalcreste jusqu'à Saint Hippolyte du Fort.

     

    3- Le traumatisme des opérations en Cévennes et les conséquences sur la Résistance :

    Bilan des opérations de la IXéme Panzer Division sur les civils : des prisonniers, des accrochages, des incendies, des pillages, des assassinats sur les sites visités par les SS (Ardaillers, Driolles, les Crottes, basse Lozère, Jalcreste….). Opération d’envergure

    4 morts dont un jeune homme de 20 ans pendu et 6 otages à Saint Hippolyte du Fort,

    1 mort à Valestalière, 1 mort à Monoblet, 1 mort et 6 otages à Ardaillers, 1 mort et 5 otages à Driolle, 1 mort à La Bastide de Virac

    Le 2 mars 15 otages sont pendus à Nimes en divers endroits de la ville (Rte de Beaucaire, Uzès, Jean Jaurès,

    Eclatement des groupes de réfractaires : tous les maquis cévenols sont attaqués Lasalle, Les Corsaires, la Grand Borie, Ardaillers, Bir Hakeim, y compris la Résistance lozérienne (Jalcreste).

    Le 2 mars le hameau des Crottes est incendié et sa population est assassinée (15 personnes)

    1er traumatisme à Aide de Côte dont le Maquis de Lasalle a su tirer les conséquences.

    2nde traumatisme les 28 et 29 février 1944 : les maquis savent qu’ils sont très fragiles.

    Objectif : garder les forces intactes jusqu’au débarquement et à la Libération

    La Résistance prend conscience qu’il faut encore plus de sécurité autour du mouvement et des maquis. Il faut désormais éviter tout affrontement inégal/population civile et préserver les jeunes réfractaires jusqu'aux opérations de la Libération.

     

    source : Laurent Vlieghe, Le maquis Aigoual-Cévennes : origines, organisation et actions (1997) Mémoire de maîtrise - Université Montpellier III